Les jeux de simulation : pratiques et idéologies

25 septembre 2013 § Poster un commentaire

A l’heure où la sortie du jeu Grand theft auto V soulève la polémique et fait le buzz, que pensait-on du jeu de simulation en 2002 ? Si les supports ont vieilli, la réflexion reste d’actualité.

Extraits de l’intervention à l’Université d’Eté des Ludothécaires 2002.

Par Laurent Trémel,

Sociologue, auteur de Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : les faiseurs de mondes[1]. PUF. 2001. Vient de co-diriger : Le grand jeu. Débats autour de quelques avatars médiatiques. PUF. 2004.

GTAV

« Cet exposé avait pour objet de présenter les travaux que j’ai réalisé sur la pratique des jeux de rôles sur table et le phénomène des jeux vidéo. Dans les deux cas, il s’agissait d’analyser parallèlement les pratiques, les produits eux-mêmes et d’interroger les représentations sociales, notamment véhiculées par les médias, se développant sur ces activités ludiques.

La pratique des jeux de rôles et sa réception par la société « adulte » : une culture juvénile stigmatisée

La pratique des jeux de rôles sur table fit son apparition aux Etats-Unis au milieu des années soixante-dix et se développa rapidement dans des milieux lycéens et estudiantins appartenant aux classes moyennes-supérieures américaines (trois millions de joueurs au début des années quatre-vingt). Elle s’introduisit progressivement en France dans les années quatre-vingt en touchant des publics similaires, où l’on estimât à la fin de la décennie le nombre de pratiquants à un peu plus de deux cents mille. Cette pratique des jeux de rôles mobilise des systèmes de simulation relativement complexes, fait appel à des notions mathématiques, repose sur un fond culturel se rapportant à la science fiction, à la littérature médiévale fantastique et donc, sous une certaine forme, à des éléments issus d’une histoire vulgarisée. Ce loisir suscita dans un premier temps l’attention, en raison de la nature des mécanismes de jeu se distinguant des jeux de société traditionnels et des formes que prenait la pratique. Des jeunes, essentiellement de sexe masculin, se rassemblaient pendant des longues heures pour jouer l’après-midi, et parfois la nuit. Les premiers articles que l’on pouvait lire dans la presse avaient essentiellement une vocation informative sur le phénomène. Même si des éléments critiques y filtraient parfois, notamment à la suite de polémiques déclenchées outre-Atlantique par des groupes proches de la Moral Majority, l’inclination globale tendait plutôt vers une sorte de neutralité. Il fallut attendre la profanation du cimetière juif de Carpentras et les piétinements de l’enquête pour que les jeux de rôles et leurs pratiquants soient l’objet d’un coup de projecteur médiatique dénonciateur.

Il ressort des travaux menés auprès de la population des rôlistes (nom donné aux joueurs de jeux de rôles) que l’on avait là à faire à des jeunes présentant certaines caractéristiques socioculturelles spécifiques : des garçons, lycéens et étudiants plutôt « bons élèves », en majorité issus de familles de cadres ayant connu des processus d’ascension sociale. Ces jeunes, aux aspirations de réussite sociale élevée, n’appartenaient toutefois pas à la bourgeoisie et devaient fréquemment se contenter de positions scolaires, puis sociales, subalternes, qui mettaient à mal leurs rêves. « Eprouvant », en quelque sorte, les premiers effets pervers du processus de massification de l’enseignement (perte de valeur des diplômes sur le marché de l’emploi), les rôlistes interrogés au début des années quatre-vingt dix apparaissaient désillusionnés, voire même amers vis à vis des promesses de réussite que leurs familles et l’école avaient générés en eux, dont la concrétisation apparaissait problématique. En parallèle, au travers du développement des scénarios élaborés dans le cadre des jeux de rôles et de la socialisation prenant place dans les clubs ou les groupes d’amis, ces jeunes trouvaient là un terrain particulièrement favorable à l’expression d’une critique sociale ordinaire. Prenant directement ou indirectement pour objet la société contemporaine, le monde du jeu leur donnait l’occasion de développer des « grandeurs » : devenir un « bon » joueur, devenir animateur de partie (c’est-à-dire « meneur de jeu »), élaborer soi-même ses scénarios au lieu de les acheter dans le commerce… En raisonnant en termes de socialisation politique, nous étions donc là en face de jeunes adultes, souvent en âge de voter, parfaitement aptes à discourir sur la société dans laquelle ils vivaient et à manifester des conceptions du politique caractérisées par la mise en avant d’un certain cynisme.

Ces éléments, issus des enquêtes menées dans plusieurs clubs de jeu, contrastaient résolument avec l’image du rôliste construite par les médias et mettaient en lumière un paradoxe, d’où émergeait une question. Alors que les adultes auraient eu tout lieu de s’intéresser à ces jeunes développant un esprit critique et à priori prêts à la discussion, sinon au dialogue, pourquoi furent-ils l’objet d’une psychologisation accusatoire ?

Sans entrer dans les détails des suites politico-médiatiques de la profanation du cimetière de Carpentras, qui aboutirent à la mise en accusation de rôlistes (qui en auraient été à l’origine par jeu), puis par les aveux de skinheads (innocentant de fait les premiers), les historiens verront sans doute un jour dans cette affaire un mariage de circonstance un peu étonnant entre les intérêts de l’extrême droite (la piste des rôlistes dépolitisant l’acte antisémite) et ceux d’un monde médiatique annonçant les débuts d’une télé-réalité à la déontologie discutable (les principaux promoteurs de la thèse précédemment énoncée firent les beaux soirs de Bas les masques ou de Témoin numéro un). On retiendra la construction de cette image sur les rôlistes, présentés comme des grands enfants attardés (ne faut-il pas l’être pour incarner des elfes et des nains dans des mondes imaginaires ?), potentiellement porteurs de pathologies latentes, parfois présentés comme des homosexuels refoulés. Le comble étant que, fréquemment, les psy télévisuels s’exprimant s’adressaient directement aux parents que l’on mettait en garde contre les dangers de ces jeux et que l’on invitait à la vigilance. Rappelons-le, durant la même période, des sortes de « droits civiques » allaient être proposés aux lycéens pour les amener à dialoguer avec les adultes… D’aucuns pourraient s’étonner de la discrimination affectant les rôlistes ! Avec un peu de recul, j’émettrais volontiers l’hypothèse que l’une des causes de cette forme de rejet social tenait alors au fait que cette population n’apparaissait pas composée de « bons » jeunes, adeptes du politiquement correct et épousant les formes culturelles de la modernité. En parallèle à la mise en scène médiatique d’une jeunesse artificielle, que prolongent aujourd’hui des spectacles comme les Lofts ou la Star Academy, ces garçons, se regroupant entre eux, jouant à partir de scénarios mettant en scène des mondes basés sur des représentations du moyen-âge, des sociétés souvent marquées par de fortes inégalités de nature entre les êtres, pouvaient déplaire…

Les jeux vidéo : un ensemble à déconstruire.

D’après les enquêtes effectuées sur la question, il semble que l’intérêt pour les jeux vidéo concernent une majorité de jeunes. En 1999, 61% des adolescents déclaraient ainsi jouer régulièrement à des jeux vidéo quand on leur demandait comment ils occupaient leur temps libre[2]. Toutefois, il convient de souligner que ce loisir va se structurer en fonction du matériel servant de support au jeu, du type de jeu, voire du titre du jeu, le tout étant à rapporter aux caractéristiques socioculturelles des pratiquants : âge, sexe, niveau d’études, milieu social d’origine. Il faut aussi distinguer la pratique domestique de celle des salles de jeux d’arcade, ne rentrant pas en compte dans le cadre de l’étude présentée ici.

Il existe actuellement trois types de supports permettant de s’adonner aux jeux vidéo à domicile :

– les Game Boy :

Il s’agit en fait d’une console de jeu portable que l’on peut facilement transporter sans sa poche ou un cartable, au prix peu élevé (100 euros environ pour du matériel neuf).

– les consoles proprement dites :

Les plus récentes (Playstation 2, Dreamcast, X-Box) sont vendues au moment de leur sortie à des prix proches de 450 euros. Au fil des mois, ces prix baissent, pour atteindre, à noël 2003, une moyenne de 200 euros. Là encore, ces prix s’entendent pour du matériel neuf. On peut trouver moins cher sur le marché de l’occasion. De même, des modèles plus anciens de consoles (pour lesquelles des jeux sont encore produits) sont disponibles en occasion pour des sommes peu élevées (de l’ordre de 50 euros).

– les ordinateurs personnels (PC et Macintosh) :

La gamme de jeux pour ordinateurs Macintosh étant limitée, les joueurs jouent le plus souvent sur PC. Ces derniers connaissent une gamme de prix extrêmement variée. On peut en trouver en grande surface à 600 euros (ordinateurs peu puissants, souvent dépassés pour jouer aux jeux les plus récents), mais ces matériels, hiérarchisés en fonction des capacités du processeur, de la taille de stockage du disque dur, ou encore de la qualité de la carte mère, de la carte graphique et de la carte son, de la présence d’extension (modem pour se connecter à Internet, écrans de grande taille), peuvent également atteindre 3000 euros.

En fonction du support, la gamme de jeux va varier. Schématiquement, et là aussi avec des différences, on trouvera davantage de jeux de sports et d’actions sur console et des thèmes plus diversifiés sur PC, notamment des jeux de stratégie dont certains observateurs vantent les mérites. La hiérarchisation des prix des jeux est complexe. Ils peuvent osciller de 10 à 12 euros pour des jeux en séries économiques ou budget (en général des logiciels anciens) à 54 ou 58 euros pour les nouveautés sur PC. Certains titres pour consoles peuvent atteindre 70 euros.

Ce tour d’horizon du marché des jeux vidéo permet de mieux comprendre comment des pratiques et des usages sociaux différents vont se structurer en fonction des caractéristiques socioculturelles des utilisateurs. On connaît ainsi la différence qui oppose les consoles aux micro-ordinateurs. Les premières touchent un public jeune, au recrutement social diversifié, et la pratique chute fortement après quinze ans. Inversement, la pratique de jeux sur PC reste l’apanage d’un public aisé[3], mais, en termes d’âge, on continue à y jouer plus longtemps.

En ce qui concerne les titres et les genres de jeux, les différences sont là aussi nombreuses. Bien qu’un peu ancienne, la typologie établie par Pierre Bruno (1993) permet de comprendre quel type de compétences va être mobilisé par le joueur en fonction du produit (réflexes moteurs ou raisonnement), d’évaluer la fréquence d’un type de jeu en fonction du support (console ou micro), son degré de convivialité ou encore l’importance de la pratique féminine. Dans son livre, Pierre Bruno soulignait également les différences sociales que l’on constate là, parlant de « pratiques de riches » et de « pratiques de pauvres ». Aussi, bien que la diversité des pratiques et des usages sociaux qui en découlent soit patente, et qu’il faut donc déconstruire cet ensemble flou constituant les jeux vidéo, il est surprenant de constater comment bon nombre d’observateurs continuent à adopter une posture globalisante quand ils s’intéressent à la question.

La pratique des jeux vidéo chez les enfants de cadres

Bon nombre des logiciels de jeu pour PC revendiquent leur filiation avec les jeux de simulation traditionnels : wargames, jeux de rôles, jeux de ressources… A l’inverse des polémiques suscitées par les jeux de rôles – alors qu’ils reposent sur des référents culturels analogues – ces produits ont plutôt bonne presse, y compris au niveau de publications (journaux ou magazines de gauche, ouvrages aux prétentions scientifiques) dont on pourrait attendre qu’ils manifestent quelques réserves sur les idéologies qu’ils diffusent. Ces « bons » jeux, dont on vante les qualités graphiques et ludiques, l’interactivité, les possibilités d’acquisition de connaissances – et que l’on oppose avec la même facilité aux « mauvais », auxquels on reproche généralement leur violence – deviennent donc aujourd’hui un élément constitutif de la socialisation de nombreux jeunes. Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser que la promotion de discours positifs, notamment véhiculés par les médias, tient en partie aux liens économiques qui les unissent aux firmes produisant et diffusant ces logiciels. Par contre, il est plus surprenant de constater comment de tels discours prennent également racine sur d’autres terrains – le monde scolaire, le secteur socio-éducatif – au point que certains en viennent aujourd’hui à penser, sinon à recommander, sans grand discernement, l’usage des jeux vidéo à l’école comme moyen de capter l’attention de (certains) élèves et de les amener vers la voie de l’apprentissage.

Des jeux comme Civilization et Sim City sont souvent cités parmi les « bons » jeux recommandés qui présenteraient des aspects pédagogiques. Plusieurs pages des Faiseurs de mondes étaient consacrées au premier, présentant une vision de l’histoire des plus évolutionnistes et américano-centrée ; les fils étant si gros que les producteurs ont dû procéder à des aménagements de version en version afin de tenter de gommer ce trait.  Et les observateurs attentifs ne manquent pas de s’étonner, pour le second titre, que le maire de la City ne soit jamais élu, ne soit porteur d’aucun projet politique et doive gérer avec un certain cynisme les paramètres économiques et sociaux de sa ville, afin d’éviter les émeutes qui pourraient altérer la croissance de la ville. On trouvera des éléments permettant de prolonger cette réflexion, à partir d’exemples plus récents, dans le travail de Tony Fortin (2004).

Se basant, dans le meilleur des cas, sur des notions superficielles sur tel ou tel jeu, ne résistant pas à une analyse un peu poussée, les affirmations de certains observateurs ignorent également, le plus souvent, les conditions de diffusion et de réception des jeux vidéo, qui génèrent dans les faits plusieurs usages. L’étude que nous avions menée en 1999-2000 auprès de joueurs fréquentant des boutiques de jeu parisiennes et jouant sur PC permettait de comprendre quel sens ils investissaient dans la pratique. Il fallait tout d’abord souligner que ces jeunes, majoritairement fils de cadres, s’accommodaient plutôt bien de l’idéologie néolibérale et fortement ethnocentrée diffusée au travers de la plupart de ces logiciels. Tout en y jouant, d’autres parvenaient à s’en distancier sous un mode culturellement légitime en mettant en avant le fait qu’ils étaient parfaitement à même de les décoder et d’y jouer au second degré. Mais, au delà de cet aspect, au demeurant significatif, les intéressés y investissaient également, culturellement parlant, autre chose. Un peu à l’image de la pratique des jeux de rôles, le phénomène était à l’origine d’interactions entre pairs génératrices de modes de socialisation spécifiques très importants sur le plan identitaire : connaissances sur les différents jeux et leurs solutions, voire sur les codes de triche, sur les capacités techniques des ordinateurs nécessaires pour « bien » jouer avec des produits récents (nécessitant des mises à jour du hardware), bricolage des machines, insertion dans des circuits de revente pirate de logiciels…

Conclusion : une nécessaire prise en compte du contexte social

Le propos de cet exposé était d’attirer l’attention sur les dimensions sociales de la pratique des jeux de simulation, informatiques ou non. Trop souvent, cette perspective est occultée au profit de discours aux dimensions psychologisantes ou moralisatrices tentant de distinguer les « bons » jeux des « mauvais ». J’ai voulu souligner ici que ces éléments doivent être pris pour objet et interrogés, en étudiant à la fois les contenus idéologiques de ces logiciels et la façon dont les pratiques liées à cette activité ludique se développent. Dès lors, une réflexion sur ces éléments est, à mon sens, nécessaire. Car cette méconnaissance potentielle risque, sinon, d’introduire des biais, notamment liés aux conséquences de la diffusion des idéologies discutables de certains produits pourtant valorisés et de passer à côté du sens que les jeunes investissent dans ces pratiques ».

Bibliographie indicative

Bruno Pierre, 1993, Les jeux vidéo. Paris, Syros.

Fortin Tony, « L’idéologie des jeux vidéo », in Santolaria N., Trémel L. (coords.), Le grand jeu. Débats autour de quelques avatars médiatiques. Paris. PUF, 2004.

Trémel Laurent, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : les faiseurs de mondes. PUF. 2001.

Trémel Laurent, « Les jeux vidéo : un ensemble à déconstruire, des pratiques à analyser », Revue Française de Pédagogie, n°136, juillet-août-septembre 2001.

 


[1] Présenté dans La Lettre ALF n°27
[2] Source : “Développement culturel”, ministère de la culture et de la communication, n°131, décembre 1999.
[3] En 2000, dans l’enquête du ministère de la culture et de la communication citée en référence, 82% des possesseurs de micro-ordinateurs étaient identifiés comme appartenant à des milieux aisés (parfois présence de plusieurs ordinateurs dans les familles de cadres).

Créagames > 21 et 22 septembre 2013

19 septembre 2013 § Poster un commentaire

Au Centre national du jeu de Boulogne-Billancourt.

CP_Creagames2013

Concours « Invente-moi un jouet », ça continue !

18 septembre 2013 § 1 commentaire

Le concours Invente-moi un jouet, organisé par l’ALF en partenariat avec la Fédération des Commerçants spécialistes des Jouets et Produits de l’Enfant (FCJPE) est relancé pour 2014 !

Ce concours de création de jeux et de jouets est proposé aux ludothécaires dans le cadre d’ateliers avec les enfants qui fréquentent la ludothèque ou auprès de qui vous êtes amenés à intervenir : écoles, centres de loisirs… Il s’adresse à des groupes d’enfants de 5 à 15 ans, que vous aiderez à concevoir le jeu ou le jouet de leurs rêves. 3 catégories d’âges ont la possibilité de concourir, les 5-8 ans, les 9-11 ans et les 12-15 ans.

Vous avez jusqu’au mois de mai pour réaliser les jeux, les prix sont décernés à l’occasion de la Fête du jeu qui aura lieu en 2014 le 31 mai.

Toutes les modalités de participation vous seront annoncées dans le courant de l’année et dores-et-déjà vous pouvez consulter la page de la FCJPE.

Et pour retrouver le palmarès du concours 2013, c’est ici.

A vos agendas !

Billy-Berclau: un premier prix au concours «Invente-moi un jouet» pour la ludothèque L’Arène des jeux

La ludothèque municipale a participé, en mai, à la huitième édition du concours « Invente-moi un jouet ».

Lors de la distribution des diplômes et des récompenses.

Lors de la distribution des diplômes et des récompenses.

Celui-ci est organisé par l’association des Ludothèques françaises, en partenariat avec la Fédération des commerces du jouet et des produits de l’enfant. Il s’adressait aux jeunes, âgés de cinq à quinze ans, en leur proposant de concevoir le jeu ou le jouet de leur rêve.

L’arène des jeux a proposé deux projets : le jeu de société « Défis de filles » imaginé par Léa, Zoé, Léonie et Sarah (9/11 ans), et le jeu « Les Petits Cuistots » de Coraline, Jules, Jade, Yanis et Paul-Antoine (5/8 ans) dont l’investissement a été récompensé par un premier prix.

Lors d’une réception, mardi, organisée en l’honneur des participants, les enfants ont reçu chacun un bon d’achat de 30 € et la ludothèque a bénéficié d’un bon de 500 €. Cette soirée a été également l’occasion de remettre les prix à Eugénie et Kathleen, gagnantes du concours Money Drop organisé à l’occasion de la fête mondiale du jeu et du premier anniversaire de la ludothèque.

Jeux et animations

La ludothèque propose près de quatre cents jeux de société à emprunter ou à découvrir sur place ainsi que des animations mensuelles. Prix de l’adhésion annuelle par famille : 15 € ; 30 € pour les extérieurs.

Dans la même structure, il y a l’atelier maman-bébé destiné aux petits qui ne sont pas encore scolarisés. L’objectif est de partager un temps privilégié à travers différentes animations. Il contribue à sensibiliser les enfants à la vie en collectivité. Il fonctionne le mardi et le vendredi, de 9 h à 11 h 30. L’inscription est gratuite.

Contact : Mélanie Bridoux au 03 21 74 13 13. Mail : ludotheque@billy-berclau.fr

Source : La voix du Nord, 14 septembre 2013

Play for life

11 septembre 2013 § Poster un commentaire

Jouer pour vivre !

1. Jouer au passé, 2. Jouer au présent, 3. Jouer au futur

C’est le thème du 13° Congrès international des ludothèques qui se tiendra à Séoul en Corée du 18 au 22 août 2014.

Rendez-vous phare des ludothécaires du monde entier depuis 1978, les congrès internationaux des ludothèques sont organisés tous les 3 ans par ITLA (International Toy Library Association) et l’association nationale du pays dans lequel ils ont lieu.

En 2008, organisé par l’ALF, il s’est tenu à Paris.

Seoul Information

Pour plus d’information, cliquez sur l’image.

Exposition itinérante « Jeux dessine »

9 septembre 2013 § Poster un commentaire

« Jeux dessine » est un concours d’illustrateur qui permet de valoriser le travail des artistes sans qui un jeu ne serait vraiment pas le même : thème, graphisme, polices, couleurs, tout cela permet de rendre le jeu encore plus attractif. Véritable travail d’artiste ce concours permet de regarder les jeux avec un œil nouveau. Nous vous en avions déjà parlé sur ce blog au début de l’année.

Cette année les finalistes (15 dans chaque catégorie) font l’objet d’une exposition qui circule dans plusieurs lieux en France : ludothèques, festivals, animations autour du jeu.

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L’exposition se présente sous la forme de 6 panneaux de 107 cm sur 150 cm, avec des oeuillets en haut et en bas pour pouvoir la suspendre (vous pouvez voir deux panneaux sur la photo, un dans chaque catégorie).  Elle représente une illustration de chaque jeu finaliste du concours.

Cette exposition peut être prêtée à toute structure qui la demande, seul les frais d’envoi et de retour sont payants (50 € l’aller – retour). Pour cela il vous suffit de nous envoyer un mail jeux.themes@briis.fr ou de téléphoner : 01 64 90 39 74 pour la réserver.  Pour les structures proches, il est possible de venir la chercher sur place pour éviter ces frais de port.

Jeu et philosophie #4

5 septembre 2013 § Poster un commentaire

4/4

extraits de l’intervention de Colas Duflo, université d’été des ludothécaires 1998

Colas Duflo, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, est spécialiste de la littérature et de la philosophie françaises du XVIIIe siècle. Il est l’auteur de le jeu de Pascal à Schiller et Jouer et philosopher.

… suite du billet précédent :

Le jeu et la règle

 « Les joueurs de football » (1908), par   Henri Rousseau (1844-1910), Solomon R. Guggenheim Museum, New York

« Les joueurs de football » (1908), par Henri Rousseau (1844-1910), Solomon R. Guggenheim Museum, New York

 Je suis parti d’une interrogation sur les conditions de possibilités du jeu à une investigation des conditions dans lesquelles le jeu s’exerce. J’ai étudié plusieurs points :

Le fonctionnement des jeux comme structures productrices.

Les théories économico-mathématiques qui n’étudient pas des jeux réels permettent de comprendre comment une règle est une structure productrice car elle définit un arbre d’actions possibles.

La question de la compétence

Que doit-être un individu pour être capable de jouer ? Les théories linguistiques en se référant souvent au jeu permettent d’envisager la compétence du joueur, c’est-à-dire tout ce par quoi il est capable d’intégrer des règles.

Le mode de pensées ludique

Une fois les règles du jeu intégrées (stade primordial, sans lequel le jeu n’est pas possible) comment les faisons-nous fonctionner ? J’ai essayé d’analyser le jeu comme une appréciation de tendance. Cela m’a amené à réinterpréter le jeu dans les catégories de la philosophie classique sous le thème de la prudence.

La conduite ludique s’avère être un type particulier de conduite prudentielle dans ces structures à produire du risque que sont les jeux. Ce sont les règles qui produisent des espaces d’indétermination puisqu’un jeu terminé est fini.

Les caractéristiques du jeu

J’ai montré comment elles se déduisent de l adéfinition que j’ai donnée et comment elles acquièrent par là leur spécificité ludique. Une caractéristique très remarquée est le fait que le jeu soit une clôture. En effet, l’espace et le temps du jeu sont toujours fermés et formés par les règles qui le définissent. Le jeu est un espace relationnel et séquentiel. On retrouve cette idée dans la littérature consacrée au jeu (Le joueur de Dostoievsky, le joueur d’échec de Stéphan Sweig, W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec). Par exemple, ce qui fait la différence entre un terrain de foot et un pré à vache n’est pas tant la qualité de l’herbe. Le terrain de foot est produit par la règle qui en définit les limites mais aussi les relations dans cet espace. La règle définit ce terrain comme un espace qualitatif, elle définit une surface de réparation, des lignes de touche, le terrain des deux équipes. Ces espaces ne sont plus neutres mais entièrement qualifiés comme relations (le terrain adverse n’’ de sens que dans la relation d’adversité). La règle du hors jeu montre bien qu’il est question des relations entre joueurs dans l’espace occupé. De même, le temps de la partie est un temps séquentiel qui acquiert des qualités : le temps d’ouverture (observation ou intimidation), la fin de partie, etc.

La règle fondatrice produit la clôture ludique qui définit un temps et un espace clos, à l’intérieur de la vie courante. Le jeu peut donc s’analyser comme créant un espace et un temps propre, un monde à part. C’est sans doute ce qui nous fascine dans le jeu.

Le contrat ludique

J’ai analysé ce geste tacite ou explicite par lequel les participants entrent dans le jeu. Dans un tournoi, le fait de participer implique la connaissance et l’acceptation du règlement : le contrat est explicite. Mais dans la plupart des jeux d’enfants, le contrat est tacite car ce que l’on a le droit de faire peut se négocier en cours de période. Ce contrat ludique prend tout son sens dans les jeux de concurrence et de conflit, il entraîne des relations particulières entre les joueurs.

Le plaisir ludique

Spinoza met en évidence la notion de « conatus » qui représente la volonté d’un être de persévérer dans son être, sa puissance d’agir. Dans le jeu, cette puissance est produite par la règle et peut servir à analyser ce qu’il y a de spécifique dans le plaisir ludique. A la roulette, la puissance d’agir se matérialise par le nombre de plaquettes possédées qui représentent la marge de manœuvre du joueur, le but du jeu étant d’augmenter sa puissance d’agir. Dans la plupart des jeux, il y a cette notion de puissance d’agir. Dans une partie on dira « je suis bien là » pour signifier que l’on a une puissance d’agir importante ou au contraire « je ne pouvais rien faire » quand l’adversaire est suffisamment puissant pour développer sa puissance d’agir : l’un ne peut persévérer dans son être qu’en réduisant l’être de l’autre. Au contraire, les jeux de collaboration font durer les puissances d’agir des uns et des autres.

C’est ce que j’ai essayé d’appliquer à la notion de plaisir ludique. En quoi le plaisir du jeu est-il spécifique ? Le jeu est une somme de plaisirs mais dans tous les cas, il y a un plaisir spécifique qui donne toute sa tonalité au jeu, qui est la joie propre du jeu.

La légalité ludique produit donc un « conatus » artificiel, qui conduit le joueur à persévérer dans son être et à augmenter sa puissance d’agir et son plaisir ludique.

Jeu et philosophie #3

4 septembre 2013 § Poster un commentaire

3/4

extraits de l’intervention de Colas Duflo, université d’été des ludothécaires 1998

Colas Duflo, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, est spécialiste de la littérature et de la philosophie françaises du XVIIIe siècle. Il est l’auteur de le jeu de Pascal à Schiller et Jouer et philosopher.

… suite du billet précédent :

Une définition philosophique du jeu

« Joueurs d'échecs », vitrail provenant de l'hôtel de la Bessée à Villefranche-sur-Saône, 1430-1440.

« Joueurs d’échecs », vitrail provenant de l’hôtel de la Bessée à Villefranche-sur-Saône, 1430-1440.

« Les joueurs d’échecs », (1863) de Honoré Daumier (1808-1879). Petit-Palais, Paris.

« Les joueurs d’échecs », (1863) de Honoré Daumier (1808-1879). Petit-Palais, Paris.

 « Pianiste et joueurs d’échecs » (1924), par Henri Matisse (1869-1954). National Gallery Washington.

« Pianiste et joueurs d’échecs » (1924), par Henri Matisse (1869-1954). National Gallery Washington.

« Le joueur d’échecs », par Miloud-Boukerche (1917-1979).

« Le joueur d’échecs », par Miloud-Boukerche (1917-1979).

 « Les joueurs d'échecs » par Gilbert Duclos, New York, 1982.

« Les joueurs d’échecs » par Gilbert Duclos, New York, 1982.

« Joueur d’échecs », extrait de «  Raymond Calbuth », Didier Tronchet (1988).

« Joueur d’échecs », extrait de « Raymond Calbuth », Didier Tronchet (1988).

"Le Joueur d'échecs" ("Geri's game", 1997), Jan Pikava (Pixar).

« Le Joueur d’échecs » (« Geri’s game », 1997), Jan Pikava (Pixar).

Il existe un certain nombre d’analyses philosophiques du jeu, chez des auteurs bien connus (Huizingua, Jacques Henriot, Roger Caillois, etc.). On y trouve une volonté de faire du jeu un paradigme, un modèle pour penser toute la société, tout le réel, tout l’être. Mon objectif au contraire, est de comprendre ce qu’est un jeu et ce que nous faisons lorsque nous jouons à la belote, au ballon, aux échecs, à la roulette, etc.

Or, pour rendre compte de ce qu’est le jeu, il fallait d’abord construire une définition, qui ne soit pas une addition de propriétés mais qui permette de montrer comment toutes ces propriétés se déduisent du concept de jeu ainsi mis au jour. En effet, on peut dire que les propriétés étaient déjà bien cernées dans les différents ouvrages consacrés au jeu dans cette deuxième moitié du 20ème siècle. Mais toutes ces propriétés (la règle, la liberté, la fermeture, le plaisir, etc.) étaient simplement additionnées, sans qu’on comprenne comment elles pouvaient aller ensemble. Or, aucune d’elle prise séparément n’est spécifique au jeu. Il fallait donc montrer le point central où se laisse déchiffrer la spécificité du jeu dont peuvent se déduire les différentes propriétés dans leur spécificité ludique. D’où la définition du jeu que j’ai proposée dans « Jouer et philosopher » : le jeu est l’invention d’une liberté par et dans une légalité. Ce qui est spécifique au jeu, c’est cette liberté produite par une légalité particulière, les règles du jeu, qui la produit comme une liberté déjà réglée. Pour qu’il n’y ait pas de confusion entre le concept métaphysique de liberté et cette liberté ludique spécifique, on a forgé pour désigner celle-ci le néologisme « légaliberté ».

Prenons un exemple

Soit un individu quelconque –M. Untel- cadre dans une grande ville. Pour garder la forme, M. Untel veut faire « du sport ». Il va donc se rendre dans une boîte à cadres prévue à cet effet, où un choix va lui être proposé pour meubler l’heure qu’il a prévu de consacrer à cette fin. Mettons qu’il pourra faire de la musculation ou du squash. Tout le monde accorde que, dans les deux cas, il s’agit de sport, mais que le choix de M. Untel va le porter soit vers une activité qui n’est pas un jeu et que personne ne considère comme telle, soit vers une activité qui est un jeu.

De cet accord général témoigne bien le fait que l’usage ordinaire du langage nous faire dire que « M. Untel joue à la musculation ». Que pouvons-nous tirer de cet exemple ? Que pouvons-nous apprendre de ce que tout le monde sait sans toujours en tirer toutes les conséquences ?

D’abord que jeux et sports sont deux ensembles présentant une surface d’intersection, mais qui ne se recouvrent pas totalement. De nombreux jeux ne sont pas des sports (la bataille navale, la roulette, etc.), certains sports ne sont pas des jeux, comme ici la musculation, et certains sports sont aussi des jeux. Maintenant, quand disons-nous d’un sport qu’il est aussi un jeu ? L’exemple ci-dessus nous aide à le comprendre. Dans le cas de la musculation, l’activité existe avant la salle de musculation. Ses diverses installations sont inventées pour faciliter et rendre plus efficace une activité qui leur préexiste, et qui pourrait se pratiquer ailleurs et autrement. Il y a là un sport qui n’est pas un jeu. Dans le cas du squash, ce qui se passe est complètement différent. Si on ne peut pas pratiquer le squash chez soi, ce n’est pas parce que c’est trop petit ou parce que cela fait trop de bruit. On ne peut pratiquer le squash que dans une salle qui correspond à la définition de la surface de jeu, telle qu’elle est donnée par les règles du jeu. C’est la règle qui, définissant l’espace de jeu, définit les règles qui vont permettre de construire des salles de squash, dans lesquelles M. Untel pourra jouer au squash. De même le temps de la partie est produit par la règle, qui définit le nombre de points à atteindre, et non par la durée de l’heure creuse de M. Untel. De même, et pour les mêmes raisons, la règle définit les conditions de possibilité du fait même de jouer au squash (sinon, ce serait un autre jeu), du fait même d’être joueur de squash. Il y a eu des gens musclés avant les salles de musculation. Il ne pouvait par contre y avoir aucun joueur de squash avant les règles du squash. Nous comprenons maintenant la différence que l’usage commun du langage soulignait déjà : même s’il y a sport dans les deux cas, il n’y a jeu que lorsque la règle préexiste à l’activité et la rend possible.

On peut montrer qu’il suffit pour s’en rendre compte de penser que la liberté du joueur d’échecs, qui est toujours libre de faire ceci ou cela (roquer ou non, bouger la tour ou le cavalier), dans la forme prescrite par la règle, n’’ pas de sens avant la règle elle-même. C’est la règle des échecs qui produit le joueur d’échec comme tel. De même pour la boxe : la différence entre la boxe et le combat de rue ne tient pas tant dans l’emploi des gants que dans le fait que les boxeurs, la situation, le temps et la forme de la rencontre sont produits par la légalité ludique qui définit la boxe possible. La règle préexiste à l’activité.

A suivre…

Jeu et philosophie #2

3 septembre 2013 § Poster un commentaire

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extraits de l’intervention de Colas Duflo, université d’été des ludothécaires 1998

Colas Duflo, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, est spécialiste de la littérature et de la philosophie françaises du XVIIIe siècle. Il est l’auteur de le jeu de Pascal à Schiller et Jouer et philosopher.

… suite du billet précédent :

« Le Tricheur à l'as de carreau », v. 1635 par Georges de La Tour (1593-1652). Paris, Musée du Louvre.

« Le Tricheur à l’as de carreau », v. 1635 par Georges de La Tour (1593-1652). Paris, Musée du Louvre.

Les facteurs de mutation de la société par rapport au jeu

Entre le début du 17ème siècle et la fin du 18ème siècle, quels sont les facteurs qui ont contribué à cette mutation ? Il y en a plusieurs mais on n’en retiendra que trois ici : le changement social, le changement d’épistémologie et le changement d’anthropologie.

Le changement social

Le philosophe écrit dans son temps et de son temps. S’il se préoccupe du jeu et aux 17ème et 18ème siècles, c’est indéniablement parce que la société est une société de jeu. Cette idée se voit très bien chez Pascal. Il a créé les premiers modèles efficaces en matière de probabilités et a contribué ainsi à leur développement, mais il a surtout accordé une très grande place au jeu dans ses Pensées. Le jeu sert de modèle pour penser toute la société, car tout le monde joue, dans toutes les classes sociales.

Cette idée se voit encore mieux au 18ème siècle dans L’histoire de ma vie, les mémoires de Casanova. Cet ouvrage compte beaucoup plus de pages consacrées au jeu ou à la description d’aventures liées au jeu que de pages liées à l’aventure amoureuse. Par ailleurs, quelques traités sont consacrés au jeu sous différents points de vue : traités de juristes, de mathématiciens, consacrés à la passion de jeu. Des pièces de théâtre ayant pour thème le joueur fanatique qui ruine toute sa famille voient le jour, etc. Le jeu est donc un phénomène de société qu’il faut penser.

Le changement d’épistémologie

L’intérêt des savants pour le jeu (pas seulement les jeux de hasard car il existe des textes de Leibniz où il analyse un certain nombre d’autres jeux comme le solitaire, le jeu de go, etc.) change le jeu. Il devient un lieu privilégié où s’exerce l’intelligence humaine sans contrainte. Des textes de Leibniz ou de l’Encyclopédie Diderot D’Alembert s’émerveillent de l’inventivité ludique ou de la façon dont les joueurs font au jugé, des estimations de probabilité qui demanderaient des heures par l’analyse mathématiques.

Le changement d’anthropologie

Il date plutôt du 18ème siècle et se manifeste avec Rousseau puis Kant. Cette mutation se voit très bien dans la considération de l’enfant. Le statut, la façon dont on conçoit l’enfant changent. On est plus enfant par défaut mais l’enfant devient humanité à réaliser (cela explique la multiplicité des traités sur l’éducation ; ex Rousseau Emile ou de l’éducation. Il devient alors important de s’interroger sur le jeu comme activité de l’enfant, compris comme un apprentissage de la liberté par soi-même, un apprentissage de la règle, du corps. C’est un lieu exemplaire d’auto-apprentissage de soi par soi, l’endroit où l’on peut apprendre à être soi-même.

Cette évolution historique m’a permis de comprendre pourquoi, en tant que philosophe, je peux m’intéresser au jeu. Il n’y aurait ni ludologue, ni ludothécaire si nous n’avions pas appris à considérer que le jeu a une place essentielle dans la société.

A suivre…

Jeu et philosophie #1

2 septembre 2013 § Poster un commentaire

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NOUVELLE ERE DE JEU OU JEU DE DUPES ?

extraits de l’intervention de Colas Duflo, université d’été des ludothécaires 1998

Colas Duflo, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, est spécialiste de la littérature et de la philosophie françaises du XVIIIe siècle. Il est l’auteur de le jeu de Pascal à Schiller et Jouer et philosopher.

" Jeux d'enfants " (1560) de Pieter Bruegel l'Ancien (1525-1569). Kunsthistorisches Museum Wien - Vienne.

 » Jeux d’enfants  » (1560) de Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569). Kunsthistorisches Museum Wien – Vienne.

Le mot d’ordre que Socrate avait pris pour Maxime et qui était inscrit au fronton du temple de Delphes était « Connais-toi toi même ». On peut l’interpréter de diverses façons, mais au minimum, il veut dire « essaie de comprendre ce que tu es, ce que tu fais, ce que tu penses ». On peut envisager deux façons de procéder : soit par une analyse directe des pratiques, soit de façon plus indirecte par une analyse de l’histoire de nos idées. La 2ème démarche (comprendre l’histoire de nos idées) est très souvent nécessaire pour accomplir la première : analyser directement ce que nous pensons. Pour ce faire, il faut analyser l’histoire des concepts, des notions avec lesquelles nous pensons, notre bagage culturel, reçu de façon inconsciente la plupart du temps. Nous nous posons des questions qui sont souvent produites par une tradition culturelle qu’il faut essayer de retracer si on veut comprendre pourquoi nous nous posons de telles questions.

Donc, pour ne pas rester naïfs, il faut essayer de faire d’abord un travail d’historien des concepts et ensuite un travail d’analyse des pratiques. J’ai essayé de faire cela à propos du jeu dans les deux livres que j’ai écrit sur ce sujet, qui me valent l’honneur d’être invité ici et que je vais présenter.

La révolution conceptuelle à propos du jeu

Le thème du jeu n’est pas très étudié en philosophie mais tout le monde admet maintenant que c’est un objet digne de l’attention des philosophes. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les quelques textes de l’Antiquité ou du Moyen Age qui parlent du jeu (une dizaine de pages d’Aristote, un chapitre de la somme théologique de Saint-Thomas d’Aquin) s’y arrêtent pour éviter de le confondre avec autre chose. Le jeu est laissé aux mineurs ; il concerne les enfants et les gens qui ont l’âme assez peu élevée dans la hiérarchie des âmes (qui ne sont pas capables d’aller jusqu’à la théorie). A cette époque, le jeu n’est donc pas digne de l’attention du sage.

Actuellement, tout le monde considère que le jeu est quelque chose de sérieux. Il y a donc eu une émulation de la société par rapport au jeu. J’ai essayé de comprendre cette mutation, en analysant l’histoire de la notion de jeu. Cette mutation a eu lieu au 17ème et 18ème siècles. Tout commence à changer dès la fin du 16ème siècle de façon très indirecte quand les mathématiciens ont considéré les jeux de hasard comme des objets intéressant. Ils deviendront au 17ème siècle une branche importante des mathématiques : le calcul des probabilités. Cette matière est née du jeu puisqu’elle cherchait à répondre aux questions du type : comment dans une partie de dés prévue en dix coups mais arrêtée au 5ème, répartir l’argent qui reste en fonction des chances de gagner de chacun ? Le fait que les mathématiques, la branche modèle du savoir, s’intéressent au jeu fait entrer le jeu dans la sphère des objets dignes d’intérêt. La mutation s’achève avec Schiller à la fin du 18ème siècle dans les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme dans lesquelles il donne au concept de tendance au jeu une dimension paradigmatique. Le jeu est un modèle qui permet de penser toute l’humanité. Son idée s’exprime dans la phrase la plus célèbre du texte : « l’homme ne joue que là où dans la pleine acception de ce terme, il est homme et il n’est tout à fait homme que là où il joue ». Elle exprime l’idée que seul l’homme est capable de jouer et que le jeu révèle l’humanité elle-même.

A partir de là, on ne joue plus par défaut, parce qu’on est un enfant incapable de s’élever à des activités plus consistantes ou parce qu’on est une âme faible incapable de s’élever jusqu’à la théorie, activité du savant, mais on joue de façon essentiellement liée à notre humanité.

A suivre…

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